XXIV
En atterrissant, Lars découvrit que les mesures de sécurité étaient encore renforcées. Il lui fallut presque une heure pour entrer, grâce à l’intervention personnelle d’un haut fonctionnaire qui le reconnut et se porta garant pour lui. En descendant, il se dit qu’il assistait peut-être à la dernière réunion de la Secnat de l’UNO-O.
On y prenait les décisions finales.
À sa surprise, le général Nitz interrompit son exposé pour lui dire :
— Vous n’êtes pas au courant, mais ce n’est pas votre faute : vous étiez en Islande. Il y a du nouveau, comme je vous l’ai dit au vidéo.
Il fit un geste. À l’autre bout de la salle, un jeune officier introduisit une bobine derrière un écran d’un mètre de large.
Un vieillard apparut. Il était maigre et portait ce qui avait été autrefois, sans doute, un uniforme qu’on ne pouvait reconnaître. Il disait d’une voix hésitante :
— … Et alors, on les a écrasés. Ils ne s’attendaient pas à ça. Tout allait si bien pour eux, c’était si facile…
À un nouveau signal de Nitz, le jeune officier pressa sur un bouton : le son cessa, l’image s’immobilisa : Nitz s’adressa à Lars :
— Regardez-le bien. Ricardo Hastings, ancien combattant d’une guerre qui a eu lieu il y a une soixantaine d’années… à ce qu’il s’imagine, du moins. Depuis des mois, depuis des années peut-être, ce vieil homme s’est assis chaque jour sur un banc du parc juste en face des installations de surface de la citadelle, essayant de trouver quelqu’un qui écoute son histoire. Enfin, quelqu’un l’a écouté. À temps ? Peut-être, peut-être pas. Tout dépend de l’état de son cerveau. D’après le premier examen il souffre de démence sénile, mais il se souvient de certains détails par exemple, de l’arme qui était la sienne pendant la Grande Guerre.
— La « génératrice temporelle de halage » ? demanda Lars.
Croisant les bras et s’appuyant au mur qui était derrière lui, le général Nitz poursuivit :
— Il n’y a pas de doute que c’est à cause de cette arme, dont il était proche, ou plutôt d’une malfaçon de cette arme, qu’il se retrouve ici d’une façon que nous ne pouvons concevoir, à une époque qui est pour lui du passé, un passé de plus d’un demi-siècle. Il est trop sénile pour s’en rendre compte. Il ne peut pas comprendre, c’est tout. Mais peu importe. Ce qui importe, c’est que cette « Grande Guerre » qui a eu lieu il y a des années, alors qu’il était un tout jeune homme, est indiscutablement le conflit dans lequel nous sommes engagés à l’heure actuelle. Ricardo Hastings a déjà pu nous renseigner sur la nature et sur l’origine de l’ennemi. Nous savons enfin, grâce à lui, quelque chose sur les êtres que nous allons combattre.
Lars comprit le silence qui avait suivi l’exposé du général ;
— Et vous espérez obtenir de lui l’arme qui a permis de vaincre cet ennemi ?
— Nous espérons tout et rien.
— Confiez-le à Pete Freid, dit soudain Lars.
Le général Nitz porta la main à son oreille comme pour le faire répéter.
— … Finissez-en avec tous ces discours. Envoyez cet homme à Lanferman Associates, pour que leurs ingénieurs puissent se mettre tout de suite au travail…
— Mais s’il meurt ?
— Mais s’il ne meurt pas ? Combien de temps croyez-vous qu’un homme comme Pete Freid met pour tirer un bleu à partir d’une simple idée, un bleu qui permet de construire un prototype ? Pete Freid, c’est un génie ! Il pourrait reconstituer un chat à partir du dessin d’un enfant. Il est en train d’étudier les numéros de « L’Homme-Pieuvre bleu de Titan ». Dites-lui d’arrêter et de se mettre au travail sur Ricardo Hastings.
Nitz secoua la tête :
— J’ai parlé à Pete Freid, et…
— Je sais ce que vous lui avez dit. Mais cessons de discourir ! Envoyez Hastings en Californie, ou plutôt faites venir Pete à Washington. Vous n’avez pas besoin de moi. Vous n’avez besoin de personne, d’aucun de ceux qui sont dans cette salle. C’est Pete Freid qu’il vous faut. Moi, je n’ai plus qu’à m’en aller.
Il se leva.
— … Je n’ai plus rien à faire ici. Jusqu’au moment où vous aurez Freid sur cette affaire Hastings.
Nitz l’arrêta d’un geste :
— Pourquoi n’essaieriez-vous pas d’abord de tirer quelque chose d’Hastings. Pendant que Freid arrive ici…
— Il ne faut que vingt minutes, et même moins, pour faire venir à Washington quelqu’un de Californie.
— Mais, Lars, Hastings est sénile. Est-ce que vous savez ce que veut dire ce mot : sénile ? Il est presque impossible d’établir avec lui un contact verbal. Alors, si vous pouviez puiser quelque chose dans les restes de cet esprit qui demeure inaccessible de façon ordinaire, normale.
Lars se décida sur-le-champ :
— Entendu. Mais qu’on prévienne Freid immédiatement.
Il montrait du doigt le vidéophone placé au bout de la table. Nitz fit un geste, donna un ordre bref.
— … Autre chose, fit Lars. Je ne suis plus seul. Nitz le regarda :
— … Lilo Toptchev est désormais avec moi.
— Veut-elle coopérer ? Peut-elle travailler ici avec nous ?
— Pourquoi pas ? Elle a un talent certain, aussi grand que l’a jamais été le mien.
— Je vous ferais transporter tous les deux à l’hôpital de Bethesda où se trouve le vieillard. Vous prendrez votre collaboratrice en cours de route. Entre-temps Freid arrivera.
— Entendu, dit Lars, enfin satisfait. Le général Nitz eut un sourire :
— Pour une prima donna, vous savez ce que vous voulez.
— Je sais ce que je veux non pas parce que je suis une prima donna, mais parce que j’ai une frousse de tous les diables. J’ai peur que ceux d’en haut mettent la main sur nous parce que nous n’aurons pas su à temps ce que nous voulons.